On peut situer l’éveil de l’art au Liban au début du XVIIe siècle, sous le règne de l’émir Fakhr al-Dîn 1er (1572-1635). Ce prince, qui était résolu à faire entrer le Liban dans la voie de la civilisation moderne, en gouvernant selon des méthodes inspirées de l’Occident, portait un vif intérêt à tout ce qui touche à l’art. Lorsqu’en 1613, il doit partir en exil pour la Toscane, il a tout le loisir d’y contempler les merveilleux chefs-d’ouvre qui s’offrent à son regard. Rentré au Liban, il fait venir d’Italie architectes et artistes qui lui font construire à Beyrouth un palais de style vénitien. D’après les descriptions qui nous sont restées, on voyait devant l’entrée une succession de cours entourées de fontaines de marbre blanc, qui n’auraient certes pas déparé les fameux palais d’Europe. On pouvait y admirer aussi de superbes jardins ornés de statues de marbre et serpentant à l’ombre de citronniers, des canaux creusés dans la pierre. Cette impulsion donnée à l’art marque le début du renouveau artistique sur la côte libanaise.
À la montagne, c’est plutôt l’école et l’imprimerie qui ont permis cet éveil. Sous l’occupation ottomane, les couvents étaient devenus le centre de la vie économique, socio-politique et intellectuelle. De leur côté, les étudiants libanais de Rome s’étaient assignés à leur tour une tâche à la fois religieuse et éducative. Nombre d’écoles sont alors fondées, notamment à Ihdin, ’Achqût, Baskinta et Bayt Chabâb. Avec l’école, l’imprimerie fait son entrée au Liban dès le XVIIe siècle. De même, le style gothique d’Occident, qui se caractérise par la finesse du dessin et la fraîcheur du coloris, donne naissance à une école de peinture qui remplit de ses ouvres les nombreux couvents et églises de la montagne.
Au début du XIXe siècle, les contacts du Liban avec l’Occident vont s’élargir : les grandes compositions à l’huile affluent d’Italie et d’Autriche, créant des foyers de renouveau artistique. À cette époque aussi, quantités de statues sont importées d’Europe et assez vite, on se met à les copier et à les imiter.
Un des premiers artistes qui mérite une mention particulière est Mûsa Dîb (1730-1826), de Dlipta, mais c’est surtout son neveu et disciple Kan’ân Dîb (1801-1882), émule du peintre italien Constantin Giusti (mort en 1873), qui se distingue le plus dans ce domaine puisqu’il est choisi pour être le peintre attitré des émirs Chihâb. C’est lui qui est chargé d’exécuter notamment les tableaux des résidences de ’Ayn Warqa (1841) et de Ghazîr (1851).
L’émir Bachîr (1767-1851) introduit l’arabesque dans son palais de Bayt al-Dîn. Il fait venir les ouvriers damascains les plus habiles à polir le marbre et les meilleurs mosaïstes pour donner au palais qu’il construisait le cachet décoratif qui en fait le charme. Sur les murs revêtus de marbre, il fait graver des inscriptions où l’écrivain du palais, Butrus Karâmâ (1774-1851), avait inclus d’anciennes maximes et sentences arabes.
À cette même époque s’ouvre en 1813, le collège de Mar ’Abda Harharayya, à Ghazîr. C’est dans ce collège que Kan’ân Dîb se met en contact avec des moines qui avaient visité l’Italie et subi l’influence des œuvres de Raphaël (1483-1520), de Michel-Ange (1475-1564) et d’autres grands maîtres de la Renaissance. Au début, Kan’ân transcrit sur ses toiles ce que lui inspirait sa foi profonde, avant de se consacrer exclusivement à une carrière de portraitiste.
Dâwûd al-Qurm (1852-1930) est un grand pionnier de la renaissance au Liban. Son père, Sim’ân Hukayyim, originaire de Ghusta, était une des rares personnes à maîtriser les langues étrangères, comme le latin et l’italien. Or, l’émir Bachîr cherchait un précepteur pour ses enfants. Il fait venir Sim’ân dans ce but. Comme Sim’ân était têtu, l’émir lui donna le sobriquet de al-Qurm qui lui resta et devint le patronyme de ses descendants. Sim’ân reste 18 ans précepteur des fils de l’émir et chargé également de la comptabilité privée de ses femmes. Il épouse Maryam, fille de Hâni, de Ghazîr, qui était la confidente de sitt Hasan Jihân, la deuxième épouse de l’émir. Il en eut trois fils, dont le plus célèbre est Dâwûd.
Beyrouth devient alors un grand centre culturel, touristique et commercial. On assiste à la naissance du théâtre, de la grande imprimerie, de la bibliothèque publique, du journal et de l’université. Nombre d’artistes occidentaux affluent au Liban et s’appliquent à en peindre amoureusement les moindres recoins. Ils sont séduits par la pureté de son atmosphère, ses beautés naturelles, ses vestiges du passé, le style oriental de ses constructions et les costumes des autochtones. Le premier est l’anglais Barlett, venu en 1834 installer son chevalet sur le rivage de Beyrouth, dans ses faubourgs, pour peindre la mer, les minarets, les tours, les maisons blanches, les sycomores, les figuiers de Barbarie, les hommes en costume arabe et les femmes coiffées du tantûr. Ensuite vient Pierre Vignal (1855-1924) qui se spécialise dans l’aquarelle. On a de lui un paysage de Kafarchîma, une scène de café « indigène » à Dbayya, une vue de Mînâ’ al-Husn où l’on voit une partie du rivage de Beyrouth ainsi que la montagne. Puis, c’est le tour de Louis-François Cassas (1756-1827), envoyé par Louis XV (1710-1774) en mission en Orient, et qui fit des centaines de dessins.
Ces artistes donnent le point de départ à une école de peinture « marine », née à Beyrouth au milieu du XIXe siècle et qui se consacre avant tout à la peinture des bateaux et de la mer. L’influence européenne n’est pas la seule à agir sur cette école, car l’école turque, dont le style prévalait dans toutes les provinces de l’Empire ottoman, a aussi joué un rôle certain dans l’art de cette école, à Beyrouth et à Tripoli. Parmi ces influences directes, signalons son souci de fixer sur la toile les événements historiques, surtout les batailles, en cherchant à y introduire le plus grand nombre de personnages pour mettre en relief la portée historique de ces événements.
Un des pionniers de cette école marine est le Beyrouthin Ibrâhîm Sarabiyyâ (né en 1865). Auteur de portraits et de paysages, il a excellé surtout à peindre la mer et les bateaux. Une de ses œuvres maîtresses représente la réception de l’empereur allemand Guillaume II (1859-1941), au port de Beyrouth, qui fait penser aux tableaux du vénitien Giovanni Canaletto (1697-1768).
À la même époque, un garçon Beyrouthin nommé Jammâl passait le plus clair de son temps à contempler l’immensité bleue de la mer. Il décide d’aller à Istanbûl et d’entrer à l’école de guerre, d’où il sortira officier de marine. Sur le Bosphore, il peint quantité de tableaux pleins de vigueur. Il s’établit à Istanbûl et y travaille comme professeur de dessin dans plusieurs écoles gouvernementales.
Un autre pionnier de ce renouveau artistique, un jeune homme de la famille Dimachqiyya, est l’auteur d’un tableau qui montre le cuirassé Victoria en train de sombrer dans les eaux de Tripoli, lors du passage de la flotte anglaise dans la région. Après lui, ce sont Hasan al-Tannîr, Salîm Haddâd, Muhammad Sa’îd Mir’i et Najîb Bikh’âzi. Mir’i émigre en Amérique, Haddâd en Égypte et Bikh’âzi en Russie.
La vaste demeure de l’écrivain Nasîf al-Yâziji (1800-1871) renfermait une masse importante de précieux manuscrits. C’était aussi un véritable cercle littéraire qui rassemblait intellectuels, poètes, artistes, autour d’un homme à l’autorité reconnue. C’est dans ce milieu que grandit son fils Ibrâhîm (1847-1906). Il commence une carrière littéraire et poétique, mais bien vite ses préférences vont aux sciences de la langue, à la composition littéraire et à l’art. Dans tous ces domaines il fit preuve d’un talent peu commun. Il était même l’un des meilleurs calligraphes de son temps, jouant un rôle capital dans la confection des caractères d’imprimerie. Il en a amélioré et simplifié les formes, les a rapprochés davantage des caractères latins et les a rendus ainsi plus adaptés à la vie moderne. De plus, il dessinait en couleurs et au fusain des tableaux pour ses amis et ses proches.
Les œuvres qui subsistent de son abondante production témoignent de sa précision de touche, de sa vigueur expressive, de son goût raffiné pour marier les couleurs et la lumière, et rendre les plus subtiles nuances des sentiments et des émotions. Parmi ses œuvres, mentionnons son autoportrait réalisé d’après un miroir et le portrait de sa sœur, la poétesse Warda al-Yâziji (1838-1924).
Beaucoup des œuvres de cette période sont aujourd’hui perdues. Le peu qui en subsiste montre que cet art reste le fait d’amateurs. La plupart de ces artistes ne possédaient ni les bases, ni la formation suffisante. Le succès qui a accueilli leurs œuvres est dû à leur labeur acharné, leur sens de l’observation et leur amour de l’art. Seul Raîf Chadûdi (1872-1914) a appliqué les principes normatifs de l’art. Durant sa brève carrière, cet artiste réaliste s’était consacré surtout au portrait. Ses œuvres se signalent par la vigueur du dessin, la richesse du coloris et la netteté des expressions physionomiques.
Cet article fait partie de notre série sur l'histoire de la peinture au Liban, avec aussi: