Tripoli. Tripoli aux vieilles demeures au charme inimitable, aux ruelles étroites ou « zaaa », aux souks historiques, au port à l'eau azurée (Al Mina). Tripoli, Trablos "Al Fayhaà" (la parfumée), deuxième grande ville du Liban, est une ville cité. Une ville où s'installa notamment le Comte de Toulouse, Raymond de Saint Gilles. Le temps y est comme suspendu.
La plupart des monuments mythiques de Tripoli datent du 12 ème siècle. La medina est dotée d'arcades, de minarets, de coupoles, de portails, de caravansérails. L'intérieur des demeures s'inspire des merveilles d'antan et des trésors d'autrefois. Chaque recoin, gorgé d'une atmosphère authentique fait resurgir une émotion particulière.
En arpentant les ruelles, en passant sous les arcades ombragées, en admirant le travail élégant de la pierre sur les façades des maisons, les toitures en armid rouge brique, on arrive à l'intérieur des demeures. La plupart des anciennes demeures ont appartenu aux notables de la ville.
Elles étaient formées de 18 pièces dont une pièce principale, le Diwan (grand salon) qui offre une superficie généreuse pouvant accueillir une centaine de personnes. On entrait dans le Diwan comme si on entrait dans une vaste cour.
L'idée d'intégrer l'eau à l'intérieur des maisons par l'emplacement de fontaines est une idée phare propice à la détente en matière de décoration et d'aménagement d'intérieur. Cette interpénétration intérieur / extérieur fait le charme de Tripoli comme le souligne l'architecture de l'iwan (porche voûté en arcade ouvert à l'extérieur d'un côté). Le Diwan abrite une fontaine d'eau plus ou moins grande, située au milieu de sa superficie.
Les maisons occupaient une place phare dans le quotidien dans la mesure où pour eux en particulier, la maison constitue à la fois le reflet du personnel et du collectif, "Notre maison est notre peau" souligne François Vigouroux dans son ouvrage intitulé l'âme des maisons. "Elle renvoie aux émotions les plus archaïques et en même temps les plus socialisées. Elle est le refuge qui permet aussi bien de s'étioler que de s'accomplir."
D'autre part, "Les notables de la ville plaçaient beaucoup de choses dans leurs maisons, ils y plaçaient leur argent, dans plusieurs coins et recoins, dans des lieux cachés, gardés secrets, les objets de valeur étaient souvent camouflés dans les tapis", souligne Joumana Chahal Tadmoury, présidente de l'association Patrimoine Tripoli Liban.
Ce qui capture le regard à Tripoli, outre son urbanisme, c'est le fait que c'est une ville débordante d'énergie, dotée de joie de vivre, où l'on aime particulièrement flaner et se promener à côté des barques des pêcheurs.
L'aspect extérieur très animé des souks contraste avec l'intérieur des vieilles demeures, plus fermées aux visiteurs. On trouve de très belles demeures mais pour y accéder le temps d'une visite, il faut bien connaître les propriétaires. Mira Prince, architecte, éditrice, directrice des éditions Geuthner à Paris, (descendante du prince de Saint Gilles) raconte: "C'est une ville chargée d'histoire, de légendes, d'histoires de trésors et de labyrinthes qui mènent à la mer. Ma grand-mère est d'Al Mina, je me souviens avoir acheté dans les souks des cannes en bois serties de mosaïque de nacre, travaillée avec ce grand savoir-faire, l'artisanat de nacre est très présent à Tripoli. Pour moi, c'est une matière précieuse et je la réapproprie dans mon intérieur à travers des objets du quotidien qui deviennent objets de décoration, pour personnaliser un coin qui m'est cher. J'aime aussi revisiter et interpréter les éléments, le langage des maisons paysannes et les ramener en ville, comme particulièrement réinterpréter à ma manière les paniers en bois ou revisiter dans un esprit contemporain les tapis de nattes confectionnées dans la ville, une astuce déco à ne pas négliger tout comme la bichromie des murs d'héritage omeyyade."
Mira Prince confie que ce qui se dégage en matière de l'identité architecturale de Tripoli, de ses confréries, de ses demeures, de ses monuments, mosquées, madrasas c'est cet aspect "secret" comme une empreinte aussi diffuse que voilée.
"Tripoli est une ville qu'on aurait envie de repenser, de faire revivre son charme d'antan, je n'évoque pas sa constitution historique mais son tissu urbain, c'est une ville qui a grandi de manière hétérogène et qui représente plusieurs visages". Cette passionnée d'histoire et de patrimoine, nous confie qu'elle essaye par l'édition de faire connaître la richesse du patrimoine de son pays natal. Deux ouvrages ont paru chez Geuthner, celui de Hoda Kasssatly : Terre de Bekaa, évoquant le patrimoine architectural des maisons en pierres et l'ouvrage Le comté de Tripoli, Etat multiculturel et multiconfessionnel coécrit par Dedeyan et Rizk.
Les maisons ne sont pas entretenues par leurs propriétaires faute de moyens mais aussi parce qu'il n'existe pas au Liban de loi qui protège les monuments patrimoniaux ni de lois qui encourage les propriétaires. "Il n'y a aucune loi qui encourage les propriétaires de ces maisons d'effectuer des travaux de réhabilitation ni de déduction fiscale ou aide financière ou rentabilité locative", remarque Joumana Chahal Tadmoury, présidente de la dynamique association de sauvegarde du patrimoine de Tripoli, qui collabore avec la Direction Générale des Antiquités (DGA) et qui œuvre activement pour proposer au gouvernement une loi qui protègerait les maisons menacées de destruction et qui encouragerait les propriétaires à les réhabiliter : "Nous avons signé un accord avec la DGA que nous ne donnons aucun accord pour aucune nouvelle démolition. Chaque nouvelle démolition doit passer par la commission de la DGA", ajoute la présidente.
L'association travaille beaucoup sur une campagne de sensibilisation auprès de la société civile et de la population locale, pour qui la notion de patrimoine n'habite pas encore les esprits. Des colloques dont entre autres Tripoli : "Quelles ambitions pour demain ? Refaire la ville" et "Tripoli cri d'alarme" se sont tenus à Paris. Parmi les recommandations évoquées par les spécialistes, outre la sensibilisation de la population à la notion de patrimoine et de préservation, l'importance d'établir des inventaires. En effet, "connaître pour reconnaître et connaître pour protéger".