Fin août ou début septembre... C'est encore l'été et pourtant les couleurs et l'ambiance ont déjà un peu changé. C'est le moment rêvé pour s'éloigner de Beyrouth et aller savourer le parfum de l'automne dans une charmante ville en bord de mer. Destination: Batroun, à 45 minutes de route de la capitale.
Neuf heures et demie, après trois quarts d’heure de bus le long de la côte libanaise, nous arrivons, sous un beau soleil de septembre, par une petite brise matinale, à Batroun. Ville côtière du Nord Liban, elle se situe à 50 Km au nord de Beyrouth, et à 30 Km au sud de Tripoli.
Nous traversons l’autoroute par le pont et arrivons sur une grande route qui descend en direction de la mer. Tout le long s’alignent différentes sortes de boutiques.
Une des vitrines attire notre attention: de belles icônes, des images saintes et des statues sont exposées en devanture. Nous voici dans la (bien nommée) boutique « Halleluya ». La propriétaire, Micheline, nous accueille chaleureusement, et nous présente son magasin : « c’est la seule boutique religieuse de la ville ! » annonce-t-elle souriante. Nous apprenons qu’elle vient d’un village plus haut dans la montagne et travaille ici depuis 35 ans. Nous ressortons du magasin avec une petite icône et un joli chapelet à mettre au poignet.
Nous poursuivons, longeant épiciers et boutiques de vêtements, nous passons devant le MacDonald installé dans une belle demeure restaurée. Arrivées au rond point au bas de la route, nous sommes accostées par un homme qui nous propose ses services de guide. Malgré notre refus il nous invite au Grenadine pour prendre un café et discuter. Avec lui, nous en apprenons davantage sur Batroun, les lieux à voir, l’histoire de la ville et du Liban. Passionné par son pays, il est ravi de nous renseigner sur tous les sujets.
La ville ancienne est une presqu’île de forme circulaire, se caractérisant par son port phénicien classique: une rade au nord de la ville et une autre au sud. L’histoire de Batroun est indissociable de son environnement local, régional et mondial. Cette ville a connu des époques de décadence et de prospérité, avec un première grande période de richesse remontant à l’époque phénicienne.
Les fouilles archéologiques ont permis de situer l’origine de la ville aux alentours de 2000 avant J-C. Des statuettes, poteries, sarcophages ont permis d’en savoir davantage sur les activités phéniciennes dans cette cité marchande.
Les plus anciens vestiges construits de la ville sont le mur phénicien qui sépare les deux rades du port de Batroun ainsi que la citadelle, édifiée au IXème siècle avant J-C par le roi de Tyr Ittobaal pour arrêter l’avancée assyrienne.
L’époque romano-byzantine marque le moment ou Jules César donna à la population de Batroun le droit de citoyenneté romaine, et ou Auguste donna à la ville le droit de battre monnaie. Le théâtre romain, situé à l’est de la ville phénicienne, était un centre culturel et artistique. En 1977, une statue en marbre représentant un dauphin monté par un enfant et une mosaïque simple ont été découverts près du mur phénicien. Ces vestiges montrent la richesse de Batroun dans l’Antiquité.
Pendant l’époque Croisée, Batroun est érigée en seigneurie et relève du comté de Tripoli. Les Croisés se servirent de la citadelle phénicienne (détruite en 551 par un tremblement de terre) comme lieu de gouvernement de leur seigneurie. A Koubba, ils construisirent l’église du Saint-Sauveur et l’église Saint-Jacques de laquelle ne subsistent que la partie d’un mur et les traces de son abside. L’époque du Moutassarrifiyat est la mieux connue de l’histoire de Batroun, c’est une période de prospérité à l’exception de la Première Guerre Mondiale dont souffrirent les Batrouniens. Batroun est alors un petit port en expansion, si bien religieuse que culturelle, artistique, architecturale et économique. La ville est d’une grande richesse en infrastructure : moulins, pressoirs, magasins, caravansérails, hôtels et écoles. Cela lui permet d’attirer une population hétérogène et cultivée, poètes, écrivains, artistes, etc. Ce sont les riches « haras » (villas) décorés de peintures murales, les églises Saint-Georges des grecs orthodoxes, Notre-Dame-de-la Place des maronites et l’église Mar Estephan des maronites qui attestent de la prospérité de la ville.
Après cette petite pause historique, nous remercions Sayed Maroun pour son aide et poursuivons seules vers le vieux souk. Nous arrivons devant la statue d’un pêcheur-scaphandrier, érigée par le président de la municipalité de Batroun en hommage à tous les martyrs de la mer. En effet la pêche aux éponges qui avait court encore il y a trente ans à fait beaucoup de victimes. Nous entrons ici dans les ravissantes ruelles du souk, aujourd’hui peu d’échoppes sont ouvertes. C’est le menuisier-charpentier que nous découvrons en premier. Très heureux il nous montre son travail, dans son atelier il prépare les planches avec lesquelles il bâtira la charpente des toits de maisons. Tout de suite séduites par le charme de l’endroit, nous admirons tous les détails d’architecture.
Un peu plus loin, à droite après le charpentier, nous voici à l’atelier de mosaïque d’Haidar. Entièrement décoré de ses œuvres et de tapis, la pièce, sous ses arcades est élégante. Haidar nous accueille à bras ouvert nous offrant café et cigarettes à volonté. Il a suivi l’exemple de son grand-père et s’est lancé dans ce noble art qu’est la mosaïque. S’il travaille aussi dans un autre atelier plus grand, il donne ici des cours à plusieurs femmes chaque semaine, et expose ses œuvres qu’il vend au Liban et à l’étranger. Nous découvrons avec lui la manière de couper les pierres et de les insérer dans le dessin. Il réalise des petites tables, des mosaïques pour le sol ou les murs, des copies d’œuvres célèbres de Van Gogh, Monnet, etc.
Au fil de la discussion il nous raconte son histoire et ses inspirateurs tels que Boulos Richa, qu’il nous présente de suite. Nous allons alors vers l’atelier de Boulos qui souhaite nous faire découvrir son travail. Ici on se croirait plutôt dans un garage, de nombreuses pièces détachées de voiture sont entreposées d’un coté. De l’autre, les œuvres de l’artiste : des sculptures montées entièrement à partir de pièces de voitures. Ainsi Boulos Richa réalise des personnages, des femmes, des animaux, etc. Il nous confie sa volonté de transformer l’inanimé en animal. La transformation se veut valorisante : les symboles de meurtre et de séquestration se transforment en symboles de vie et en symboles de liberté, de progrès et de beauté. Haidar, notre mosaïste nous apporte des manouchés avec une bouteille d’ayran, nous déjeunons tous les quatre dans l’atelier de Boulos, puis reprenons notre visite.
Nous sortons du Vieux Souk pour aller à Mar Estephan (ou Saint Etienne), la superbe église qui fait face à la mer. Elle fut édifiée par un architecte italien en 1896. A l’intérieur nous sommes subjuguées par la beauté de la pierre et des arcades ainsi que par la lumière dorée qui pénètre par les vitraux et illumine l’église.
En sortant nous descendons vers le port ou nous rencontrons les pêcheurs. Ils nous confient que le travail est difficile, « il n’y a plus de poisson aujourd’hui, les jeunes choisissent un autre métier ». Et pourtant l’endroit n’a pas perdu de son charme entre les filets exposés au soleil, les barques multicolores et le reflet turquoise de l’eau. Plus haut nous nous perdons dans les ruelles admirant là les villas et jardins, ici les églises avec vue sur la mer, là encore les façades en pierre sablée.
Le bord de mer constitue assurément la plus jolie partie de la ville avec la merveilleuse église orthodoxe Notre Dame de la mer qui surplombe l’étendue bleue scintillante et offre une vue splendide à travers les arcades. L’église Saint Georges rassemble de belles icônes. Une famille arménienne nous invite à boire un café, belle occasion de mieux connaitre les batrouniens qui sont un bel exemple de l’hospitalité libanaise, nous discutons de tout et de rien, politique même. Ici la vie suis son court, l’école à repris, les enfants rechignent à s’y rendre, les activités quotidiennes reprennent. Même dans ce lieu béni, entre le soleil et la mer, chacun suit sa route.
Enfin, les yeux emplis d’images, les narines imprégnées du parfum des fleurs, nous prenons le chemin du retour en nous remémorant les plus beaux moments de cette escapade... et dégustant une bonne glace, en attendant le bus.