Dans le souk de Jezzine, au Liban Sud, les petites échoppes s’alignent les unes à côté des autres : magasins de produits alimentaires locaux, boutiques de poteries... Et surtout, des ateliers de coutellerie, l’artisanat emblématique de la région. Les couteaux et couverts de Jezzine possèdent un manche en corne très caractéristique qui, finement sculpté et peint, représente un Phénix flamboyant : cet oiseau mythologique qui renait de ses cendres est associé au Liban, pays qui toujours se relève des guerres et des crises.
Pourtant, c’est précisément la peur de mourir qui chagrine cet artisanat aujourd’hui. Il y a une dizaine d’années, ses représentants s’inquiétaient déjà de l’absence de « relève » chez les jeunes. Il faut dire que le métier demande beaucoup de précision, de concentration, de minutie. De temps, aussi. Pas vraiment de quoi séduire la jeune génération, adepte du « tout, tout de suite ». Pour les anciens, chez qui ce savoir-faire s’est parfois transmis de père en fils, c’est cruel.
Quoi qu’il en soit, les couteaux de Jezzine, véritables objets d’art, sont encore fabriqués aujourd’hui de façon artisanale dans une dizaine d’ateliers de la ville. C’est là qu’ils sont nés, à la fin du 18e siècle, quand les paysans forgeaient des outils agricoles, puis des armes pendant les conflits locaux.
Le manche des couteaux, en corne de buffle ou d’ovin, a pris la forme d’un Phénix à partir des années 60. Peint en noir ou en blanc, avec des touches de vert, jaune et de rouge flamboyant, il permet de reconnaitre un élément de coutellerie de Jezzine. Certains arborent cependant d’autres designs ou signes distinctifs, comme des croisillons le long du manche.
L’utilisation d’un mélange de résine et de poudre d’os pour fabriquer les manches a permis cette diversification des designs. Certains critiquent le recours à ces matériaux, qui accélèrent la disparition du geste artisanal d’origine, avec le travail de la corne.
Cependant, les manches en résine et poudre d’os nécessitent eux aussi un travail artisanal minutieux, et certains artisans reconnaissent à ce matériau une certaine solidité, en laissant entendre que la corne a tendance à se fissurer. Il permet également de proposer des couleurs plus variées et d’économiser plusieurs heures de travail. C’est un argument, car la durée de fabrication d’un couteau ne permet pas de produire suffisamment pour répondre à la demande, nous disent certains artisans qui reconnaissent que l’engouement des clients pour ces objets est toujours présent... Mais avec les crises sanitaires puis économiques, les touristes se sont faits de plus en plus rares.
Certains professionnels se sont d’ailleurs lancés dans la vente en ligne : si tu ne viens pas à Jezzine, Jezzine et sa coutellerie viendront à toi, grâce à internet ! En attendant, le mieux est encore de se rendre sur place, dans une petite échoppe, pour s’offrir - ou offrir - quelques-uns de ces magnifiques couteaux : un bien beau cadeau... digne d’un chef d’Etat.