On la croise dans Beyrouth au détour d’une ruelle, mais aussi parfois dans des villages de montagne : la maison traditionnelle aux trois arcades et au toit rouge est emblématique du patrimoine architectural libanais. Appelée aussi « maison à hall central », car sa triple arcade ouvre sur le cœur de l’habitation, elle est de forme généralement cubique et compte un ou deux étages. Elle est souvent érigée dans un jardin privatif, et se caractérise par son toit de forme pyramidale couvert de tuiles rouges.
Maintenant que nous avons dressé son portrait, revenons sur la naissance de ce véritable bijou d’architecture.
Dans les années 1850, alors en pleine période ottomane, Beyrouth bénéficie d’échanges commerciaux, artistiques et culturels de plus en plus intenses avec l’Europe. L’industrie de la soie bat son plein et joue un grand rôle dans le développement économique du Liban. La capitale libanaise profite aussi des nouveaux règlements en termes d’urbanisme qui naissent à Istanbul, la capitale de l’Empire Ottoman. Beyrouth se construit et s’étend, entourée de jardins.
Dans ce contexte économique dynamique et cet environnement agréable, une classe relativement aisée fait son apparition et s’enrichit.
C’est à cette période que naît la maison aux trois arcades, datant donc de la seconde moitié du 19e siècle. Emblématique de la bourgeoisie beyrouthine de l’époque, elle s’inscrit dans le prolongement des logements traditionnels, à savoir des maisons familiales et conviviales. Cette convivialité, justement, est encore renforcée par l’ouverture de la maison sur l’extérieur.
Techniquement, la maison aux trois arcades est adaptée au climat méditerranéen, avec une ouverture au nord pour limiter la chaleur. Au cœur de la maison, le hall central, aéré, distribue les pièces tout autour. Les tuiles rouges du toit sont importées de Marseille dans le sud de la France. Le fer forgé des balcons provient de Roumanie. Le marbre utilisé pour les colonnes et les dalles vient d’Italie. Pour bâtir ces maisons, les maîtres maçons du Liban partent se former à l’étranger, notamment en Italie, où ils apprennent gestes et techniques de pointe.
D’abord bourgeois, ce modèle de maison se démocratise peu à peu. En effet, la révolution industrielle en Occident permet de produire des matériaux en plus grande quantité et moins chers. Cela permet aux classes populaires de construire elles aussi des habitations aux trois arcades, par exemple dans la ville ottomane de Tripoli, dans le nord du Liban, mais aussi dans la montagne libanaise, où les habitations présentaient traditionnellement des toits en terrasse (comme dans de nombreuses régions montagnardes dans le monde). On commence alors rapidement à voir des toits rouges fleurir un peu partout dans les villes et les villages du Liban.
Dans la capitale comme dans le reste du pays, on ne connaît pas aujourd’hui officiellement le nombre et l’emplacement exact de ces anciennes demeures. A la fin des années 90, une étude effectuée par l’APSAD (Association pour la protection des sites et anciennes demeures au Liban) avait compté 1019 bâtiments traditionnels, construits entre 1850 et 1940, dans les quartiers situés autour du centre-ville de Beyrouth (Zokak el Blatt, Sodeco, Gemmayzeh, etc). Mais tout le monde est d’accord pour dire que ces maisons sont en voie de disparition. Plusieurs associations de défense du patrimoine architectural libanais s’attachent à leur préservation. Et en zone rurale, certains propriétaires les transforment en maisons d’hôte quand cela est possible. Cela permet aux amoureux du Liban de faire l'expérience de la vie dans la maison aux trois arcades.